Art District

Cattle Depot Artist Village

4 septembre 2025
9 Mins
Cattle Depot Art Vllage

Depuis 2001, Cat­tle Depot Artist Vil­lage à Hong Kong est un lieu unique et fas­ci­nant, qui témoigne de l’his­toire indus­trielle de la ville et de sa vibrante scène artis­tique contem­po­raine. S’il n’est pas aus­si connu que M50 à Shan­ghai ou 798 Art Zone (Dashanz­hi) à Pékin, et s’il est éga­le­ment plus modeste en sur­face, il n’en demeure pas moins un vol­can de créa­ti­vi­té en érup­tion per­ma­nente.

Des origines à rebondissements

Situé sur la par­tie conti­nen­tale (Kow­loon) de Hong Kong, non loin de Kow­loon Bay, il ne s’a­git pour­tant guère du lieu de départ de la scène contem­po­raine locale, puisque c’est d’a­bord sur l’île prin­ci­pale à Oil Street (Cau­se­way Bay) que des péré­gri­na­tions sub­viennent.

En effet, il faut remon­ter la bobine du temps en 1998. À cette époque, Hong Kong subit les consé­quences de la crise finan­cière asia­tique. Le mar­ché immo­bi­lier est en berne. Un vaste com­plexe gou­ver­ne­men­tal à Oil Street, dans le quar­tier de North Point, est ren­du vacant par le départ de l’ad­mi­nis­tra­tion qui y était ins­tal­lée. Pour évi­ter la vente immé­diate du ter­rain à des prix trop bas, le gou­ver­ne­ment a loué le site à des artistes et des col­lec­tifs pour un loyer déri­soire (envi­ron 2,5 HKD le pied car­ré ou square foot en anglais, uni­té de mesure à Hong Kong). C’est là que naît le Oil Street Artist Vil­lage, qui devient rapi­de­ment le pre­mier véri­table pôle artis­tique alter­na­tif et expé­ri­men­tal de Hong Kong. Des artistes vont même s’ins­tal­ler de manière « under­ground ». C’é­tait alors une période d’ef­fer­ves­cence créa­tive sans pré­cé­dent pour le ter­ri­toire, ce lieu étant à la fois un incu­ba­teur (un cadre brut et abor­dable per­met­tant à de nom­breux artistes de tra­vailler et d’ex­po­ser en dehors des gale­ries com­mer­ciales tra­di­tion­nelles) et une com­mu­nau­té sou­dée (avec de nom­breux artistes visuels, musi­ciens, com­pa­gnies de théâtre et vidéastes ins­tal­lés côte à côte, créant une com­mu­nau­té artis­tique dyna­mique et col­la­bo­ra­tive). Le fruit de leur tra­vail artis­tique leur a per­mis pen­dant quelques mois de mener une cam­pagne publique pour la pré­ser­va­tion du lieu, mon­trant que l’art pou­vait être une force civique et pas seule­ment une acti­vi­té com­mer­ciale.

Performance par l'artiste Ichi Ikeda en février 1999© David Clarke
Per­for­mance par l’ar­tiste Ichi Ike­da en février 1999
Discussion d'artistes au 1A Artspace en juillet 1999© David Clarke
Dis­cus­sion d’ar­tistes au 1A Arts­pace en juillet 1999

Hélas, cette expé­rience fut de courte durée. Dès que le mar­ché immo­bi­lier a com­men­cé à se redres­ser, le gou­ver­ne­ment a vou­lu récu­pé­rer le ter­rain pour le vendre à un pro­mo­teur. Les artistes ont été expul­sés fin 1999 et début 2000, un évé­ne­ment qui a mar­qué l’en­semble de la scène cultu­relle de Hong Kong.
 

Naissance et renaissance


Face à la pres­sion de la com­mu­nau­té artis­tique et à l’at­ten­tion média­tique sus­ci­tée par l’ex­pul­sion des artistes d’Oil Street, le gou­ver­ne­ment a dû trou­ver une solu­tion. Il a iden­ti­fié l’an­cien dépôt de bétail de Ma Tau Kok (Cat­tle Depot) comme un site de rem­pla­ce­ment idéal. En friche depuis sa fer­me­ture en 1999, le Cat­tle Depot offrait les mêmes carac­té­ris­tiques que le lieu d’Oil Street : des bâti­ments his­to­riques et une ambiance brute, pro­pice à la créa­tion. Pour le gou­ver­ne­ment, c’é­tait l’oc­ca­sion d’un geste poli­tique pour apai­ser les ten­sions et mon­trer que le gou­ver­ne­ment sou­te­nait l’art. Les artistes d’Oil Street qui ont sur­vé­cu à la tran­si­tion ont été relo­gés au Cat­tle Depot et la trans­for­ma­tion des lieux a coû­té 23 mil­lions de dol­lars hong­kon­gais (HKD) au gou­ver­ne­ment, un inves­tis­se­ment consé­quent à l’é­poque. Cette trans­for­ma­tion n’est donc pas seule­ment l’his­toire d’un abat­toir réha­bi­li­té. C’est le résul­tat d’un mou­ve­ment d’ar­tistes pour la recon­nais­sance de leur rôle dans l’es­pace urbain et la preuve que la créa­tion artis­tique peut influen­cer la poli­tique de revi­ta­li­sa­tion urbaine à Hong Kong.

Le Cattle Depot Artist Village en (b)étail
… et en (d)étails


Le site ori­gi­nel a été construit en 1908 et a fonc­tion­né comme un abat­toir et un poste de qua­ran­taine pour le bétail jus­qu’en 1999. Il est le der­nier abat­toir d’a­vant-guerre à avoir sur­vé­cu à Hong Kong, ce qui lui confère une valeur his­to­rique excep­tion­nelle. Il est faci­le­ment recon­nais­sable e l’en­vi­ron­ne­ment urbain, asphal­teux et vitré, empli de néons de la ville, avec ses bâti­ments de faible hau­teur en briques rouges et leurs toits en tuiles ain­si que cer­tains élé­ments d’ar­chi­tec­ture occi­den­tale. On peut même encore obser­ver des ves­tiges de son pas­sé, comme les abreu­voirs en ciment et les anneaux métal­liques qui ser­vaient à atta­cher le bétail.
Après avoir été réha­bi­li­té, il est deve­nu le foyer en pre­mier lieu des acteurs « his­to­riques » d’Oil Street, mais aus­si de nom­breux artistes, de com­pa­gnies de théâtre et d’or­ga­ni­sa­tions artis­tiques. On peut y décou­vrir des œuvres de dif­fé­rents genres, de la pein­ture à la sculp­ture en pas­sant par l’art vidéo et l’art de la per­for­mance. D’ailleurs, sa com­mu­nau­té diverse d’ar­tistes et d’or­ga­ni­sa­tions artis­tiques est très axée sur des formes d’art plus expé­ri­men­tales ou alter­na­tives.

Cattle Depot Artist Village en 2020© WiNG
Cat­tle Depot Artist Vil­lage en 2020

Il est néces­saire de signa­ler, contrai­re­ment à d’autres vil­lages d’ar­tistes, son iden­ti­té est pro­fon­dé­ment liée à son his­toire de lieu alter­na­tif, refuge pour des artistes dépla­cés, et à la pré­ser­va­tion de son archi­tec­ture colo­niale unique. Son dyna­misme est plus dis­cret et intime que celui des autres vil­lages sus­nom­més en intro­duc­tion. Il s’a­dresse sou­vent à un public d’i­ni­tiés, d’é­tu­diants en art et de pas­sion­nés et joue un rôle essen­tiel de « labo­ra­toire » pour l’art local, notam­ment pour les formes d’art non com­mer­ciales comme la per­for­mance et l’art vidéo. C’est jus­te­ment la scène locale qui béné­fi­cie le plus de ce lieu en fai­sant émer­ger ou confir­mant de grands talents hong­kon­gais.

On pense notam­ment à Frog King (Kwok Mang-ho), sans doute l’ar­tiste le plus célèbre asso­cié au Cat­tle Depot. Kwok Mang-ho est une figure de l’a­vant-garde hong­kon­gaise, connu pour ses per­for­mances excen­triques et son cos­tume de « roi gre­nouille ». Son stu­dio est un lieu de créa­tion et un amon­cel­le­ment de ses œuvres et d’ob­jets récu­pé­rés. L’autre figure locale est cer­tai­ne­ment Kum Chi-keung avec ses sculp­tures et ses ins­tal­la­tions sou­vent créées à par­tir de maté­riaux recy­clés.

Performance de Frog King, décembre 2015© David Clarke
Per­for­mance de Frog King, décembre 2015
Labour de Kum Chi-keung, 2012© Kum Chi-keung
Labour de Kum Chi-keung, 2012
Bonsai de Kum Chi-keung, 2017© Kum Chi-keung
Bon­sai de Kum Chi-keung, 2017

Le Cat­tle Depot n’est pas seule­ment une somme d’ar­tistes vivant en un même lieu, mais aus­si le foyer de plu­sieurs orga­ni­sa­tions d’art qui jouent un rôle cru­cial dans le pay­sage artis­tique de Hong Kong. Et 1A Space est l’une des plus impor­tantes. C’est l’une des gale­ries d’art contem­po­rain les plus res­pec­tées et les plus anciennes de Hong Kong. Fon­dée en 1998 par un col­lec­tif d’ar­tistes, et déjà pré­sente à Oil Street, elle est un espace majeur pour les expo­si­tions, les dis­cus­sions et la pro­mo­tion d’ar­tistes locaux et inter­na­tio­naux. 1A Space se concentre sur l’art concep­tuel et expé­ri­men­tal, et sa pré­sence au Cat­tle Depot en fait un lieu d’une grande impor­tance pour la com­mu­nau­té artis­tique.

De son côté, Video­tage est la prin­ci­pale ins­ti­tu­tion d’art vidéo et de nou­veaux médias à Hong Kong. Elle a été une pion­nière dans la pro­mo­tion et l’ar­chi­vage de l’art vidéo dans la région. Son rôle est essen­tiel pour les artistes tra­vaillant avec les nou­velles tech­no­lo­gies et les formes d’art audio­vi­suel.

Enfin, On & On Theatre Work­shop est un centre pour les arts de la scène. On & On Theatre Work­shop est une com­pa­gnie de théâtre répu­tée qui uti­lise les lieux pour les répé­ti­tions et les repré­sen­ta­tions, contri­buant à la diver­si­té cultu­relle du site et offrant une res­pi­ra­tion dif­fé­rente, une ins­pi­ra­tion pour tous les acteurs artis­tiques de Cat­tle Depot.

From Dust to Light - 2025© Video­tage
From Dust to Light — 2025 — Video­tage
 

Les contours d’un avenir incertain

Comme l’en­semble des vil­lages d’ar­tistes, la notion de via­bi­li­té éco­no­mique et cultu­relle est tou­jours de mise. Les gou­ver­ne­ments, quels qu’ils soient, réflé­chissent tou­jours s’il n’est pas plus judi­cieux de vendre le ter­rain à des pro­mo­teurs immo­bi­liers, faire du loge­ment des zones com­mer­ciales ou des zones éco­lo­giques en cœur de ville.
Dans le dis­cours de beau­coup, un artiste peut conce­voir son art en dehors de zone à forte ten­sion (immo­bi­lière, éco­no­mique). Pour les artistes, il s’a­git de mon­trer com­bien ils sont impor­tants comme pou­mon cultu­rel pour une ville, voire une attrac­tion pour le tou­risme ou pour des acti­vi­tés artis­tiques inter­na­tio­nales.

Dans le cas du Cat­tle Depot Artist Vil­lage, les artistes ont his­to­ri­que­ment béné­fi­cié de loyers abor­dables, ce qui a favo­ri­sé l’ex­pé­ri­men­ta­tion et l’é­mer­gence de talents. C’est un espace où les artistes peuvent se per­mettre de tra­vailler en dehors du cir­cuit com­mer­cial mains­tream, et de créer des œuvres qui repoussent les fron­tières. Le gou­ver­ne­ment a quant à lui inves­ti envi­ron 100 mil­lions HKD pour trans­for­mer la par­tie arrière du site en un parc artis­tique et un espace récréa­tif thé­ma­tique, offrant des lieux de repos, des toi­lettes publiques et des espaces verts. Ce pro­jet, inau­gu­ré en 2019, a été conçu pour atti­rer les familles et le grand public, en com­plé­ment des stu­dios d’ar­tistes. Et bien que le gou­ver­ne­ment ait fait des inves­tis­se­ments signi­fi­ca­tifs, la poli­tique de ges­tion a sou­vent été per­çue comme un frein à la créa­ti­vi­té et à l’ou­ver­ture du lieu. Les artistes ont long­temps été sou­mis à des régle­men­ta­tions rigides par l’a­gence gou­ver­ne­men­tale en charge de la ges­tion. Par exemple, il leur était inter­dit de peindre sur les murs, d’ex­po­ser leurs œuvres à l’ex­té­rieur de leurs stu­dios ou d’y pas­ser la nuit. En plus, le site n’é­tait ini­tia­le­ment pas équi­pé des ins­tal­la­tions de sécu­ri­té néces­saires pour les grandes acti­vi­tés publiques, ce qui obli­geait les loca­taires à deman­der un per­mis tem­po­raire pour chaque évé­ne­ment, un pro­ces­sus lourd et contrai­gnant. Aus­si, il semble qu’il n’a y ait pas de visions claires et cohé­rentes sur le déve­lop­pe­ment du vil­lage dans les années à venir, avec une ges­tion de lieux plus comp­table qu’ar­tis­tique.

 

L’art c’est l’espoir

Quoi­qu’il en soit, le Cat­tle Depot Artist Vil­lage est un lieu-sym­bole, un récit vivant et incar­nant, plus que tout autre lieu à Hong Kong, la coha­bi­ta­tion néces­saire du cultu­rel et l’ur­ba­nisme. Loin du faste d’autres dis­tricts artis­tiques, celui-ci a culti­vé une iden­ti­té unique, plus intime et authen­tique, où l’ex­pé­ri­men­ta­tion et la pro­duc­tion artis­tique priment face au super­fé­ta­toire. Son his­toire est un rap­pel des défis per­sis­tants et de la pré­ca­ri­té de ces espaces de liber­té artis­tique. Mais c’est pré­ci­sé­ment dans cette ten­sion que réside sa force. C’est un labo­ra­toire, un lieu essen­tiel pour s’in­ter­ro­ger sur le monde qui nous entoure et demeure un haut lieu pour qui­conque sou­haite com­prendre la véri­table âme créa­tive de la ville, un lieu où l’hé­ri­tage d’hier nour­rit l’au­dace de demain, où l’art s’ha­bit d’es­poir.

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