Situé à quelques encablures des Southern Ridges, ce dédale de jardins tropicaux et de sentiers nature que l’on franchit par des ponts métalliques, Gillman Barracks, est un complexe d’art contemporain unique en son genre, fruit de la transformation d’un site historique en complexe culturel.
De casernes militaires à cité des arts : une politique de reconversion ambitieuse
L’histoire de Gillman Barracks remonte à 1936. Ce site était alors un ensemble de casernes militaires coloniales britanniques, nommé en l’honneur du général Sir Webb Gillman. Ces bâtiments ont joué un rôle crucial, servant de base au 1er Bataillon britannique avant la Seconde Guerre mondiale et étant le théâtre de l’une des dernières batailles de l’armée britannique lors de l’invasion japonaise de Singapour. Après l’indépendance de Singapour en 1965 et le retrait militaire britannique en 1971, les lieux ont été exploités par les Forces armées de Singapour (SAF), puis utilisés à des fins commerciales (restaurants, parc de loisirs) sous le nom de Gillman Village en 1996 jusqu’en 2010.
La transformation des lieux en complexe d’art contemporain a été une initiative très importante de la cité-État.
Le gouvernement singapourien, à travers des agences comme l’EDB (Economic Development Board) et le NAC (National Arts Council), avait une vision claire de positionner « la cité du lion » comme une capitale mondiale pour l’art et la culture. Il cherchait à diversifier son économie au-delà de la finance et de la technologie, en investissant dans les industries créatives. Un pôle d’art contemporain de cette envergure était considéré comme un élément crucial pour attirer les collectionneurs, les galeries, les artistes et les institutions de recherche internationaux. D’autant plus que Singapour disposait jusque là de musées nationaux, mais manquait d’un cluster dédié aux galeries privées d’envergure et aux centres de recherche en art contemporain, ce qui était jugé nécessaire pour soutenir un écosystème artistique complet et compétitif à l’échelle régionale et mondiale. Last but not least, les bâtiments coloniaux des anciennes casernes offraient un cadre singulier et spacieux, difficile à trouver dans le Singapour densément peuplé. Cette architecture historique combinée à la verdure luxuriante était perçue comme un atout majeur pour créer un environnement distinctif et attrayant.
Gillman Barracks a été inauguré en septembre 2012 et est souvent comparé à d’autres villages artistiques en Asie comme 798 Art Zone (Dashanzi) à Pékin ou M50 à Shanghai (dont nous parlerons prochainement). Toutefois, celui-ci se distingue peut-être par son approche plus institutionnelle et planifiée, là où les complexes chinois ont souvent émergé de manière plus organique à partir d’initiatives d’artistes ou de collectifs.









Un écosystème artistique riche et diversifiés
Ce pôle singapourien abrite un éventail de galeries d’art contemporain de premier plan, locales et internationales, ainsi que des organisations artistiques et des institutions de recherche. Parmi les acteurs notables, on trouve des galeries comme Sundaram Tagore Gallery, Mizuma Gallery, ShanghART Singapore, et des galeries locales comme FOST Gallery ou bien encore Yeo Workshop.
Le complexe accueille également le NTU Centre for Contemporary Art Singapore (NTU CCA Singapore), qui est une composante essentielle. En effet, le NTU CCA Singapore est reconnu comme un institut de recherche curatorial et un hub pour l’art contemporain au sein des réseaux internationaux, avec des programmes de résidence pour artistes, de recherche et d’exposition.
Les expositions présentées à ce jour sont très diverses, allant des artistes émergents aux noms établis mondialement. Des artistes de renom comme Ai Weiwei, Yayoi Kusama, Yoshitomo Nara et Sebastião Salgado ont exposé leurs œuvres dans ces galeries. Les expositions abordent souvent des problématiques socioculturelles contemporaines, encourageant le dialogue et de nouvelles perspectives. Des exemples récents incluent des expositions de Tang Da Wu, des œuvres d’art utilisant des matériaux non conventionnels, et des collections de photographies.
Mais Gillman Barracks n’est pas uniquement un lieu d’exposition et de création artistique ; c’est aussi un espace de vie et de loisirs pour attirer les Singapouriennes et Singapouriens, amateurs d’arts ou non, et leur donner envie de passer du temps en ces lieux. On y trouve plusieurs restaurants et cafés qui complètent l’offre culturelle, comme Hopscotch Bar et Ida’s Bar… parce que, faut-il le rappeler, les curateurs, les professionnels de l’art contemporain se retrouvent parfois davantage autour de la carte de ces adresses que dans les galeries ! Le site est vraiment conçu pour être une enclave au style de vie créatif, avec des plans de développement futurs visant à attirer davantage de concepts innovants en matière de restauration et de divertissement, voire à mêler la discipline gastronomique à celle de l’art contemporain.
Un lien avec la France…
Singapour, en tant que carrefour international, accueille régulièrement des artistes, des collectionneurs et des initiatives françaises. Pour exemple, l’artiste franco-vietnamien Cyril Kongo, connu pour son travail dans le graffiti et ses collaborations avec des marques de luxe, a exposé à The Columns Gallery au sein du pôle Gillman Barracks. Des collectionneurs et curateurs français, tels que Pierre Lorinet et Edward Mitterrand, ont également présenté des expositions à Singapour, parfois en lien avec les espaces de Gillman Barracks, notamment lors d’événements comme la Singapore Art Week.
… et des artistes émergents de Singapour
Gillman Barracks joue également un rôle crucial dans la promotion des talents locaux. Le NTU CCA Singapore, que nous avons présenté, avec ses programmes de résidence et ses expositions, soutient activement les artistes singapouriens. De nombreuses galeries présentes au sein du complexe s’engagent à présenter et pérenniser la nouvelle génération d’artistes de Singapour. Bien qu’il soit difficile de nommer tous les artistes émergents qui ont bénéficié de ce pôle, des talents comme Sarah Choo Jing et Charles Lim Yi Yong sont souvent cités comme des exemples d’artistes singapouriens qui ont gagné en visibilité grâce à Gillman Barracks et ses événements tels que S.E.A. Focus. Les galeries comme FOST Gallery et Yeo Workshop, citées précédemment, soutiennent aussi régulièrement des artistes locaux émergents à travers leurs expositions.
En somme, Gillman Barracks est un lieu où l’histoire coloniale rencontre l’avant-garde artistique et où s’incarne pour la « Cité jardin » l’ambition de devenir un acteur majeur de la scène artistique asiatique. Qui plus est, aux dernières nouvelles (début 2025), certains baux commerciaux non renouvelés pourraient d’ici 2030 être transformés en habitation afin de connecter davantage les lieux à la population.