Art District

Gillman Barracks

29 juillet 2025
5 Mins
Gillman Barracks 006

Situé à quelques enca­blures des Sou­thern Ridges, ce dédale de jar­dins tro­pi­caux et de sen­tiers nature que l’on fran­chit par des ponts métal­liques, Gil­l­man Bar­racks, est un com­plexe d’art contem­po­rain unique en son genre, fruit de la trans­for­ma­tion d’un site his­to­rique en com­plexe cultu­rel.

De casernes militaires à cité des arts : une politique de reconversion ambitieuse

L’his­toire de Gil­l­man Bar­racks remonte à 1936. Ce site était alors un ensemble de casernes mili­taires colo­niales bri­tan­niques, nom­mé en l’hon­neur du géné­ral Sir Webb Gil­l­man. Ces bâti­ments ont joué un rôle cru­cial, ser­vant de base au 1er Bataillon bri­tan­nique avant la Seconde Guerre mon­diale et étant le théâtre de l’une des der­nières batailles de l’ar­mée bri­tan­nique lors de l’in­va­sion japo­naise de Sin­ga­pour. Après l’in­dé­pen­dance de Sin­ga­pour en 1965 et le retrait mili­taire bri­tan­nique en 1971, les lieux ont été exploi­tés par les Forces armées de Sin­ga­pour (SAF), puis uti­li­sés à des fins com­mer­ciales (res­tau­rants, parc de loi­sirs) sous le nom de Gil­l­man Vil­lage en 1996 jus­qu’en 2010.

 

La trans­for­ma­tion des lieux en com­plexe d’art contem­po­rain a été une ini­tia­tive très impor­tante de la cité-État.

Le gou­ver­ne­ment sin­ga­pou­rien, à tra­vers des agences comme l’EDB (Eco­no­mic Deve­lop­ment Board) et le NAC (Natio­nal Arts Coun­cil), avait une vision claire de posi­tion­ner « la cité du lion » comme une capi­tale mon­diale pour l’art et la culture. Il cher­chait à diver­si­fier son éco­no­mie au-delà de la finance et de la tech­no­lo­gie, en inves­tis­sant dans les indus­tries créa­tives. Un pôle d’art contem­po­rain de cette enver­gure était consi­dé­ré comme un élé­ment cru­cial pour atti­rer les col­lec­tion­neurs, les gale­ries, les artistes et les ins­ti­tu­tions de recherche inter­na­tio­naux. D’au­tant plus que Sin­ga­pour dis­po­sait jusque là de musées natio­naux, mais man­quait d’un clus­ter dédié aux gale­ries pri­vées d’en­ver­gure et aux centres de recherche en art contem­po­rain, ce qui était jugé néces­saire pour sou­te­nir un éco­sys­tème artis­tique com­plet et com­pé­ti­tif à l’é­chelle régio­nale et mon­diale. Last but not least,  les bâti­ments colo­niaux des anciennes casernes offraient un cadre sin­gu­lier et spa­cieux, dif­fi­cile à trou­ver dans le Sin­ga­pour den­sé­ment peu­plé. Cette archi­tec­ture his­to­rique com­bi­née à la ver­dure luxu­riante était per­çue comme un atout majeur pour créer un envi­ron­ne­ment dis­tinc­tif et attrayant.
  
Gil­l­man Bar­racks a été inau­gu­ré en sep­tembre 2012 et  est sou­vent com­pa­ré à d’autres vil­lages artis­tiques en Asie comme 798 Art Zone (Dashan­zi) à Pékin ou M50 à Shan­ghai (dont nous par­le­rons pro­chai­ne­ment). Tou­te­fois, celui-ci se dis­tingue peut-être par son approche plus ins­ti­tu­tion­nelle et pla­ni­fiée, là où les com­plexes chi­nois ont sou­vent émer­gé de manière plus orga­nique à par­tir d’i­ni­tia­tives d’ar­tistes ou de col­lec­tifs.

Un écosystème artistique riche et diversifiés

Ce pôle sin­ga­pou­rien abrite un éven­tail de gale­ries d’art contem­po­rain de pre­mier plan, locales et inter­na­tio­nales, ain­si que des orga­ni­sa­tions artis­tiques et des ins­ti­tu­tions de recherche. Par­mi les acteurs notables, on trouve des gale­ries comme Sun­da­ram Tagore Gal­le­ry, Mizu­ma Gal­le­ry, Shan­ghART Sin­ga­pore, et des gale­ries locales comme FOST Gal­le­ry ou bien encore Yeo Work­shop.

Le com­plexe accueille éga­le­ment le NTU Centre for Contem­po­ra­ry Art Sin­ga­pore (NTU CCA Sin­ga­pore), qui est une com­po­sante essen­tielle. En effet, le NTU CCA Sin­ga­pore est recon­nu comme un ins­ti­tut de recherche cura­to­rial et un hub pour l’art contem­po­rain au sein des réseaux inter­na­tio­naux, avec des pro­grammes de rési­dence pour artistes, de recherche et d’ex­po­si­tion.

Les expo­si­tions pré­sen­tées à ce jour sont très diverses, allant des artistes émer­gents aux noms éta­blis mon­dia­le­ment. Des artistes de renom comme Ai Wei­wei, Yayoi Kusa­ma, Yoshi­to­mo Nara et Sebas­tião Sal­ga­do ont expo­sé leurs œuvres dans ces gale­ries. Les expo­si­tions abordent sou­vent des pro­blé­ma­tiques socio­cul­tu­relles contem­po­raines, encou­ra­geant le dia­logue et de nou­velles pers­pec­tives. Des exemples récents incluent des expo­si­tions de Tang Da Wu, des œuvres d’art uti­li­sant des maté­riaux non conven­tion­nels, et des col­lec­tions de pho­to­gra­phies.

Mais Gil­l­man Bar­racks n’est pas uni­que­ment un lieu d’ex­po­si­tion et de créa­tion artis­tique ; c’est aus­si un espace de vie et de loi­sirs pour atti­rer les Sin­ga­pou­riennes et Sin­ga­pou­riens, ama­teurs d’arts ou non, et leur don­ner envie de pas­ser du temps en ces lieux. On y trouve plu­sieurs res­tau­rants et cafés qui com­plètent l’offre cultu­relle, comme Hops­cotch Bar et Ida’s Bar… parce que, faut-il le rap­pe­ler, les cura­teurs, les pro­fes­sion­nels de l’art contem­po­rain se retrouvent par­fois davan­tage autour de la carte de ces adresses que dans les gale­ries ! 😁 Le site est vrai­ment conçu pour être une enclave au style de vie créa­tif, avec des plans de déve­lop­pe­ment futurs visant à atti­rer davan­tage de concepts inno­vants en matière de res­tau­ra­tion et de diver­tis­se­ment, voire à mêler la dis­ci­pline gas­tro­no­mique à celle de l’art contem­po­rain.

Un lien avec la France…


Sin­ga­pour, en tant que car­re­four inter­na­tio­nal, accueille régu­liè­re­ment des artistes, des col­lec­tion­neurs et des ini­tia­tives fran­çaises. Pour exemple, l’ar­tiste fran­co-viet­na­mien Cyril Kon­go, connu pour son tra­vail dans le graf­fi­ti et ses col­la­bo­ra­tions avec des marques de luxe, a expo­sé à The Columns Gal­le­ry au sein du pôle Gil­l­man Bar­racks. Des col­lec­tion­neurs et cura­teurs fran­çais, tels que Pierre Lori­net et Edward Mit­ter­rand, ont éga­le­ment pré­sen­té des expo­si­tions à Sin­ga­pour, par­fois en lien avec les espaces de Gil­l­man Bar­racks, notam­ment lors d’é­vé­ne­ments comme la Sin­ga­pore Art Week.

… et des artistes émergents de Singapour

Gil­l­man Bar­racks joue éga­le­ment un rôle cru­cial dans la pro­mo­tion des talents locaux. Le NTU CCA Sin­ga­pore, que nous avons pré­sen­té, avec ses pro­grammes de rési­dence et ses expo­si­tions, sou­tient acti­ve­ment les artistes sin­ga­pou­riens. De nom­breuses gale­ries pré­sentes au sein du com­plexe s’en­gagent à pré­sen­ter et péren­ni­ser la nou­velle géné­ra­tion d’ar­tistes de Sin­ga­pour. Bien qu’il soit dif­fi­cile de nom­mer tous les artistes émer­gents qui ont béné­fi­cié de ce pôle, des talents comme Sarah Choo Jing et Charles Lim Yi Yong sont sou­vent cités comme des exemples d’ar­tistes sin­ga­pou­riens qui ont gagné en visi­bi­li­té grâce à Gil­l­man Bar­racks et ses évé­ne­ments tels que S.E.A. Focus. Les gale­ries comme FOST Gal­le­ry et Yeo Work­shop, citées pré­cé­dem­ment, sou­tiennent aus­si régu­liè­re­ment des artistes locaux émer­gents à tra­vers leurs expo­si­tions.

En somme, Gil­l­man Bar­racks est un lieu où l’his­toire colo­niale ren­contre l’a­vant-garde artis­tique et où s’in­carne pour la « Cité jar­din » l’am­bi­tion de deve­nir un acteur majeur de la scène artis­tique asia­tique.  Qui plus est, aux der­nières nou­velles (début 2025), cer­tains baux com­mer­ciaux non renou­ve­lés pour­raient d’i­ci 2030 être trans­for­més en habi­ta­tion afin de connec­ter davan­tage les lieux à la popu­la­tion.

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