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Xin Dongwang : de chair et d’âme

24 novembre 2025
6 Mins
Petit-Déjeuner par Xin Dongwang

Xin Dong­wang (1963–2014) est une figure majeure et pro­fon­dé­ment huma­niste de la pein­ture à l’huile chi­noise contem­po­raine. Dis­pa­ru pré­ma­tu­ré­ment à l’âge de 50 ans, il a lais­sé une marque indé­lé­bile en deve­nant le por­trai­tiste de la Chine en muta­tion de ces quatre der­nières décen­nies.

Il est célèbre pour s’être éloi­gné de l’art pure­ment aca­dé­mique et s’être concen­tré sur les tra­vailleurs migrants (min­gong), cap­tu­rant ain­si leurs espoirs et leurs dif­fi­cul­tés avec une empa­thie rare.

Hiver par Xin Dongwang© Xin Dong­wang
Hiver

Une jeunesse dans la ruralité profonde

Né en 1963 dans le petit vil­lage de Xin­jia­fang, situé dans le com­té de Kang­bao, dans la pro­vince du Hebei (au Nord de la Chine), Xin Dong­wang a connu l’as­cèse d’une région aride, dif­fi­cile et très pauvre, fron­ta­lière de la Mon­go­lie inté­rieure. Sa famille, consti­tuée de pay­sans, connait la faim et le froid des hivers du Nord. Dès son plus jeune âge, il est donc impré­gné par la rudesse de la vie pay­sanne, une expé­rience qui for­ge­ra son empa­thie indé­fec­tible pour les tra­vailleurs agri­coles et ces gens qui ont leurs mains comme outils de tra­vail.

Et contrai­re­ment aux artistes issus des grandes aca­dé­mies urbaines, Xin Dong­wang a com­men­cé au bas de l’é­chelle, comme arti­san. Après le lycée, vers 1980, il quitte son vil­lage natal pour ten­ter sa chance plus au nord, en Mon­go­lie inté­rieure, dans le com­té de Huade. Pour gagner sa vie, il ne com­mence pas par faire de l’art avec un grand A, mais de la déco­ra­tion uti­li­taire. Le jeune homme devient un peintre iti­né­rant. Il va de vil­lage en vil­lage pour peindre des déco­ra­tions sur les kangs (espace ser­vant de lieu de vie comme de lit, en briques habi­tuel­le­ment) et sur du verre. Cette période est fon­da­men­tale : en vivant chez l’ha­bi­tant, Xin Dong­wang man­geait avec ces familles de peu et pei­gnait pour eux. Il a appris à obser­ver les visages tan­nés par le soleil et les mains usées par le tra­vail bien avant d’ap­prendre l’a­na­to­mie aca­dé­mique.

Summertime de Xin Dongwang© Xin Dong­wang

Ascension artistique et sociale

Son talent brut finit par être remar­qué, et il par­vient à s’ex­traire de sa condi­tion par l’é­du­ca­tion, un par­cours du com­bat­tant pour un jeune rural à l’é­poque.

Il réus­sit à inté­grer le dépar­te­ment d’art de l’École Nor­male de Jinz­hong (1986–1988) située dans la pro­vince voi­sine du Shan­xi. C’est sa pre­mière véri­table for­ma­tion aca­dé­mique struc­tu­rée. Il y apprend les bases du des­sin clas­sique et de la pein­ture à l’huile. Après en être sor­ti diplô­mé, Xin Dong­wang enseigne la pein­ture à l’Uni­ver­si­té nor­male du Shan­xi. C’est une réus­site sociale majeure pour un fils de pay­san… mais il ne s’ar­rête pas là ! Insa­tis­fait de son niveau tech­nique, il vise plus haut et part se per­fec­tion­ner à la pres­ti­gieuse Aca­dé­mie cen­trale des beaux-arts de Chine (à Pékin) au milieu des années 90. C’est là qu’il confronte son expé­rience rugueuse de la vie rurale aux tech­niques les plus sophis­ti­quées de la pein­ture occi­den­tale et fait éga­le­ment face à ses cama­rades chi­nois qui ont une approche contem­po­raine éloi­gnée de son vécu. C’est éga­le­ment à ce moment où il expé­ri­mente d’une cer­taine manière la vie de min­gongs, puisque c’est un rural, avec peu de moyens, qui s’in­tègre peu à peu à la vie urbaine, au milieu d’une com­mu­nau­té artis­tique de haute volée.

Un style des plus singuliers

À son arri­vée dans la capi­tale, il ne loge donc pas dans des dor­toirs confor­tables. Il vit dans les vil­lages urbains péri­phé­riques, là où logent jus­te­ment les tra­vailleurs de la construc­tion et les petits com­mer­çants venus des cam­pagnes.
Xin Don­wang loue des chambres minus­cules, mal chauf­fées l’hi­ver (l’hi­ver est rude à Pékin), éco­no­mi­sant chaque cen­time pour ache­ter de la pein­ture et des toiles afin de com­men­cer sa car­rière. Cette pré­ca­ri­té n’é­tait pas un choix artis­tique, mais une néces­si­té éco­no­mique. Cepen­dant, elle l’a main­te­nu en contact direct avec ses sujets. Il man­geait dans les mêmes échoppes de rue que les ouvriers, pre­nait les mêmes bus bon­dés. Il par­ta­geait leur anxié­té de l’a­ve­nir et leur sen­ti­ment d’ex­clu­sion face à la richesse osten­ta­toire de la ville.

Xin Dong­wang racon­tait qu’à cette époque, il se sen­tait mal­adroit, pas à sa place. Il res­sen­tait phy­si­que­ment la pres­sion de la ville ; une forme de pres­sion phy­sique et psy­cho­lo­gique qui sera à l’o­ri­gine de ce style sin­gu­lier où il peint les corps légè­re­ment tas­sés ou défor­més. Cette dis­tor­sion n’est pas une cari­ca­ture, c’est la tra­duc­tion visuelle de ce qu’il res­sent : le poids de la socié­té qui pèse sur les épaules des migrants, les com­pri­mant lit­té­ra­le­ment dans l’es­pace urbain.

De plus, il est éga­le­ment un ambas­sa­deur du néo­réa­lisme, clé de voûte de son art, qui se mani­feste dans ses œuvres par une puis­sance visuelle inouïe. Doté d’une acui­té péné­trante, l’ar­tiste tra­verse les appa­rences pour sai­sir ins­tan­ta­né­ment la dimen­sion spi­ri­tuelle de ses modèles. Il cap­ture le moindre détail avec une pré­ci­sion chi­rur­gi­cale — un regard vacant, des lèvres entrou­vertes, des narines fré­mis­santes, une pos­ture gauche ou une chaus­sure ava­chie — révé­lant ain­si l’es­sence même de l’âme. Cette maî­trise confère à ses per­son­nages une force vis­cé­rale qui émeut et marque dura­ble­ment la mémoire.

Mais il ne cherche pas à impos­ter un patos quel­conque. Au contraire, ses toiles sont plu­tôt huma­nistes et cha­leu­reuses. Xin Dong­wang évoque même vou­loir peindre la cha­leur de la peau, de la chair et la « tem­pé­ra­ture » de l’âme. Des carac­té­ris­tiques plu­tôt opti­mistes, empa­thiques avec les­quelles l’ob­ser­va­teur de ses pein­tures res­sent une connexion directe, presque phy­sique, avec les sujets des­distes pein­tures.

Noce d'or par Xin Dongwang© Xin Dong­wang
Noce d’or
Fraicheur du printemps par Xin Dongwang© Xin Dong­wang
Frai­cheur du prin­temps

2004–2014 : la dernière décennie

L’a­po­gée de sa car­rière arrive peut-être à l’âge de 41 ans lors­qu’il devient pro­fes­seur à l’Aca­dé­mie des Arts et du Desi­gn de l’U­ni­ver­si­té Tsing­hua en 2004.  Tsing­hua est sou­vent consi­dé­rée comme l’é­qui­valent du MIT ou de Har­vard en Chine. Pour un homme né dans un vil­lage pauvre du Hebei, sans édu­ca­tion secon­daire for­melle clas­sique au départ, deve­nir pro­fes­seur titu­laire dans cette ins­ti­tu­tion est une réus­site sociale inouïe. C’est à ce moment pré­cis, alors qu’il atteint le som­met du confort et du sta­tut social, qu’il peint avec le plus d’in­ten­si­té les tra­vailleurs migrants. Il ne s’est pas embour­geoi­sé dans son art. Au contraire, sa posi­tion lui a don­né la liber­té totale de peindre ce qu’il vou­lait, sans conces­sion.
Ses oeuvres, à l’ins­tar de celles de son com­pa­triote Liu Xiao­dong, recueillent alors la recon­nais­sance de ses pairs et des gale­ristes. Sa matu­rié artis­tique est atteinte. Il conti­nue de pro­duire énor­mé­ment jus­qu’à ce que la mala­die (un lym­phome) l’emporte en 2014, à seule­ment 50 ans, un âge jeune pour un peintre, notam­ment un peintre comme Xin Dong­wang qui n’a­vait pas encore de fini de don­ner au monde des nou­velles de la Chine contem­po­raine. 

Mal­gré son ascen­sion sociale et cultu­relle, il a su gar­der son cœur (et son pin­ceau) fidèle aux « petites gens ». Témoin d’une Chine à fleur de peau,  Xin Dong­wang a été la conscience visuelle d’une urba­ni­té à tout crin en pré­ser­vant la mémoire de ceux qui l’ont bâti. Et pour sai­sir cela, trois toiles peuvent ser­vir de témoi­gagnes : À la lisière de la ville (Cheng­shi Bia­nyuan) : l’œuvre mani­feste qui l’a révé­lé, expo­sant la pré­ca­ri­té brute des migrants ; Petit-déjeu­ner (Zao­dian) : une ode à la vie quo­ti­dienne, cap­tu­rant l’ins­tant tri­vial du repas avec une monu­men­ta­li­té sacrée ; et enfin Noces d’or (Jin­hun) : un témoi­gnage bou­le­ver­sant sur le temps qui passe et la per­sis­tance des liens humains mal­gré la rudesse de la vie.

Colère par Xin Dongwang© Xin Dong­wang
Colère