SNBA

SNBA : femme, je vous aime ! (1/2)

29 août 2025
5 Mins
Louise Catherine Breslau - La Toilette (1898)

Les femmes artistes au XIXᵉ sècle

À la fin du XIXᵉ siècle, le monde de l’art en France est un bas­tion essen­tiel­le­ment mas­cu­lin, tour­nant autour de l’Aca­dé­mie des Beaux-Arts et de « son » Salon offi­ciel. Dans ce sys­tème, les femmes artistes sont qua­si­ment vues comme des figures exo­tiques ou de simples ama­trices (si ce n’est des figures comme Eli­sa­beth Vigée-Lebrun au XVIIIᵉ siècle, Rosa Bon­heur au XIXᵉ). Elles font face à des obs­tacles majeurs et sys­té­ma­tiques. En pre­mier lieu, l’ac­cès à l’é­du­ca­tion. En effet, les femmes étaient inter­dites d’ac­cès à l’École des Beaux-Arts de Paris jus­qu’en 1897. Par consé­quent, elles ne pou­vaient pas suivre une for­ma­tion com­plète et offi­cielle, notam­ment l’é­tude de l’a­na­to­mie à par­tir du nu mas­cu­lin, consi­dé­rée comme la base de la pein­ture d’his­toire, un genre noble, voire per­çu comme le plus pres­ti­gieux d’entre tous.

Mais il y a éga­le­ment la notion de « génie créa­teur ». L’ar­tiste était per­çu comme un « génie » pre­nant l’ap­pa­rence d’un homme sou­vent soli­taire, dans son ate­lier, dont la créa­ti­vi­té et la force étaient consi­dé­rées comme intrin­sè­que­ment mas­cu­lines. Les femmes, elles, étaient sou­vent can­ton­nées aux rôles de modèles, de muses ou d’a­ma­trices, dont les créa­tions, si elles avaient l’ou­tre­cui­dance d’être artistes, étaient vues comme une simple acti­vi­té de loi­sir, et non comme un métier. Il leur était extrê­me­ment dif­fi­cile de s’ar­ra­cher de cette per­cep­tion patriar­cale, encore plus lorsque le rap­port de maître (homme) à élève (femme) entrait en jeu.

Et puis, pour ne rien arran­ger à cela, les femmes ont été vic­times d’une forme de hié­rar­chie des genres. Elles étaient encou­ra­gées, pour celles qui entre­voyaient une lueur de suc­cès, à se limi­ter à des genres dits « mineurs » ou « fémi­nins » comme la nature morte, la pein­ture de fleurs, ou le por­trait (sou­vent d’en­fants ou de femmes). Abor­der des sujets his­to­riques, poli­tiques, reli­gieux ou mytho­lo­giques était ain­si une pré­ro­ga­tive qua­si exclu­si­ve­ment mas­cu­line.

Élisabeth Vigée Le Brun (1755–1842) © Wiki­pé­dia
Éli­sa­beth Vigée Le Brun (auto­por­trait)

Et la SNBA fut !

C’est dans ce contexte que la Socié­té Natio­nale des Beaux-Arts (SNBA) va créer une brèche déci­sive, bou­le­ver­sant les codes pour faire des femmes des actrices à part entière du monde de l’art.
En effet, face à un sys­tème rigide et aca­dé­mique, la SNBA, ini­tia­le­ment créée en 1862 puis refon­dée en 1890, entre en rup­ture avec cette ligne tra­di­tion­nelle et vient, dès la pre­mière édi­tion de son Salon la même année, le Salon des Beaux-Arts, faire une place de choix aux femmes, avec plus de dix pour cent d’ar­tistes expo­sés issus du beau sexe (et dire qu’elles repré­sentent aujourd’hui une majo­ri­té au Salon des Beaux-Arts… que de che­min par­cou­ru !).

La SNBA devient alors une pla­te­forme de visi­bi­li­té et de légi­ti­mi­té. Son Salon offre aux femmes un lieu d’ex­po­si­tion de pre­mier plan, au même titre que pour leurs homo­logues mas­cu­lins. En y expo­sant dès les pre­mières années, des artistes comme Suzanne Vala­don ou Camille Clau­del ont pu pré­sen­ter leur tra­vail à un large public et aux cri­tiques, gagnant ain­si en légi­ti­mi­té pro­fes­sion­nelle sans être consi­dé­rées comme des « curio­si­tés ». 

C’est aus­si la pos­si­bi­li­té pour les femmes d’in­té­grer ses ins­tances de pou­voir et c’est sans doute l’ap­port le plus révo­lu­tion­naire. La SNBA n’a donc pas seule­ment per­mis aux femmes d’ex­po­ser, elle les a inté­grées à sa struc­ture même ! On peut évo­quer briè­ve­ment les membres fon­da­trices comme Made­leine Lemaire et Louise Cathe­rine Bres­lau (médaillée d’or à l’Expo­si­tion uni­ver­selle de 1889) qui fai­saient par­tie des 184 membres fon­da­teurs de la SNBA en 1890. Cela leur a confé­ré un sta­tut de « socié­taire », leur don­nant ain­si des droits de vote et de déci­sion sur l’o­rien­ta­tion de la Socié­té. Elles ont été éga­le­ment membres du jury. En 1893, Made­leine Lemaire et Louise Abbé­ma sont deve­nues les pre­mières femmes à sié­ger au jury du Salon de la SNBA. C’é­tait un évé­ne­ment majeur : elles avaient le pou­voir de juger le tra­vail de leurs pairs mas­cu­lins, remet­tant en cause l’au­to­ri­té mas­cu­line tra­di­tion­nelle dans l’ap­pré­cia­tion artis­tique.

Ain­si, la SNBA a per­mis de gra­ver dans le marbre la recon­nais­sance de leur tra­vail dans tous les genres de la pein­ture. En étant plus ouverte sur le plan artis­tique, la Socié­té a don­né la pos­si­bi­li­té aux femmes artistes de s’ex­pri­mer dans des genres où seuls les hommes étaient auto­ri­sés. Camille Clau­del a d’ailleurs pu expo­ser ses sculp­tures, des œuvres d’une force et d’une puis­sance qui contre­di­saient alors les sté­réo­types sur la « déli­ca­tesse fémi­nine ».
Agis­sant comme un puis­sant cata­ly­seur d’é­ga­li­té, elle a créé un contre-modèle à l’a­ca­dé­misme en offrant aux femmes un espace où leur talent était jugé sur le fond et non sur le genre. Ce fai­sant, la SNBA a non seule­ment mis en lumière des artistes excep­tion­nelles, mais elle a aus­si contri­bué à fis­su­rer le modèle du « génie mas­cu­lin » et à jeter les bases d’une plus grande équi­té dans le monde par­fois cruel de l’art à par­tir du XXᵉ siècle (cruel, car sou­ve­nons-nous du des­tin de cer­taines femmes artistes, épou­sant la misère à la fin de leur vie ou étant inter­nées comme Camille Clau­del et Jua­na Roma­ni).

Bonus : deux précieuses archives


La pre­mière est l’ex­po­si­tion rétros­pec­tive de por­traits de femmes signés entre 1870 et 1900 (hommes et femmes peintres confon­dus) par la SNBA en 1907 au Palais du Domaine de Baga­telle ; et qui accom­pagne, à sa manière, les luttes fémi­nistes de l’é­poque.

La deuxième est média­tique puisque le grand Guillaume Apol­li­naire prend la plume et la trempe dans l’encre pour écrire un article, paru dans le jour­nal Le Petit Bleu de Paris, le 5 avril 1912 en pre­mière page (colonnes cen­trales), afin de saluer  les « pein­tresses », dont la plu­part ont expo­sé au Salon.